Alphabet
De l'abstraction au symbole

Aux origines du langage, les idées abstraites ne pouvait pas être peinte au moyen de figures directes, car de quelle figure aurait-il bien pu s'agir ? C'est également le cas pour certaines idées concrètes et matérielles qui auraient demandé pour leur expression figurative des images beaucoup trop compliquées et développées. Chacun de ces deux cas a donc nécessité l’emploi de symboles graphiques. Mais la méthode purement figurative ne permettait d’exprimer qu’un très petit nombre d’idées, des idées d'ordre matériel, exclusivement.

Dans l’écriture hiéroglyphique, le symbole est présent dès l'origine et est presque contemporain de l'apparition des signes figuratifs. En effet, le besoin d’exprimer une pensée de façon claire et précise, suppose un développement de civilisation considérable dans laquelle il semble inévitable de ne plus pouvoir se contenter éternellement de la représentation pure et simple d’objets matériels pris dans leur sens ordinaire.

De la formation des symboles graphiques...

par métaphore

Il s'agissait de peindre un objet qui avait une similitude réelle ou supposée et facile à comprendre avec l’idée à expri- mer.

  • C’est ainsi qu’en Égypte, le vautour était le symbole de l’idée de mère parce qu’on croyait qu'il n'existait que des individus femelles de cette sorte d'oiseau et qu'elles n'avaient donc pas besoin du concours d'un mâle pour se reproduire.
  • La figure de l’oie du Nil voulait dire fils à cause de l’opinion populaire qui voulait que ce volatile ait des vertus de piété filiale dignes de servir d’exemple aux hommes.
  • La priorité, la supériorité ou la prééminence s’exprimaient par les parties antérieures du corps d'un lion.
  • Les idées de gardien et de vigilance s’exprimaient par la tête du lion, également, dont on pensait qu’il dormait les yeux grand ouverts.
  • L’abeille signifiait roi parce que cet insecte est soumis à un gouvernement d'apparence monarchique.

par métonymie

Cela consiste à dessiner la cause au lieu de l’effet, l'effet au lieu de la cause ou l’instrument plutôt que son produit.

  • Ainsi les Égyptiens exprimaient la notion de mois par l’image d'un croissant de lune pointant doublement vers le bas, telle qu’elle se montre vers la fin du mois
  • le jour, par la figure d'un soleil dont le jour est la conséquence
  • l'écriture par l’image d’un roseau ou d’un pinceau accompagné d'un encrier et d'une palette de scribe
  • le concept de la vue, par les deux yeux ou les deux prunelles
  • le feu, par une colonne de fumée sortant d’un réchaud

par synecdoque

On ne considérait qu'une partie d'un tout lorsque les sujets figuratifs auraient été trop compliqués à tracer dans leur intégrité. Il en est ainsi pour certains hiéroglyphes égyptiens.

  • Pour exprimer le concept de bœuf on se contentent de dessiner la tête de l’animal et non pas sa physionomie entière.
  • Les deux prunelles suffisent à symboliser ses yeux.
  • L’idée de combat est esquissée sous la forme de deux bras dont l’un est muni d'un bouclier et l’autre une sorte de hache.

par énigmes

Pour exprimer une idée, on employait l’image d’un objet physique n’ayant que des rapports très lointains, souvent même de pure convention, avec l’idée à exprimer.

  • D’après cette méthode, un rameau de palmier représentait l’année, parce qu’on supposait que sur cet arbre poussait douze rameaux par an, un chaque mois.
  • Une plume d’autruche signifiait la justice chez les Égyptiens, parce que, disait-on, toutes les plumes des ailes de cet oiseau sont égales.
  • Une corbeille tressée de joncs était le symbole des idées de seigneur et de totalité.
  • Le serpent uræus était la représentation de la royauté et de la divinité.

...à la perte de leur signification

J'ai pris tous ces exemples parmi les hiéroglyphes égyptiens, mais je pourrais facilement montrer les mêmes modes de formation des symboles graphiques dans l'écriture chinoise à son état hiéroglyphique primitif ou dans le cunéiforme anarien. Je pourrais aussi montrer comment certaines métaphores naturelles sont apparues spontanément chez des peuplades et civilisations diverses sans communication entre elles ; et comment le même symbole se retrouve avec le même sens dans plusieurs systèmes d’origine tout à fait diverse. L’exemple le plus frappant sans doute est encore celui du symbole de l’abeille qui, ainsi que je viens de l'expliquer, signifie roi dans les hiéroglyphes égyptiens, et se reconnaît encore clairement dans le cunéiforme anarien.

Les symboles formés par métaphore, métonymie ou par synecdoque deviennent, tout comme les signes figuratifs, des idéogrammes énigmatiques du moment que la déformation, conséquence inévitable de la marche du temps, en a fait disparaître le sens premier. Ainsi, pour ne citer que ce seul exemple, le symbole de l’abeille dont la métaphore était pourtant si claire et si naturelle, fini par ne plus être qu’un signe conventionnel lorsqu’il passe consécutivement du hiéroglyphique égyptien à l'hiératique, au démonique, à l’écriture cunéiforme anarienne, puis qu'il apparaît dans le style babylonien archaïque et enfin dans le style babylonien moderne.